La vraie histoire derrière, scènes censurées, message caché sur la maternité

Sommaire
L’éléphant Jumbo : la tragique histoire vraie
Derrière le mignon éléphanteau de Disney se cache une histoire bien plus sombre. Dumbo s’inspire de Jumbo, un véritable éléphant capturé en Éthiopie (alors Abyssinie) en 1862 par des braconniers qui ont tué sa mère sous ses yeux. Le simple acte d’amour qui a conduit à sa mort ? Elle essayait de protéger son bébé, comme l’aurait fait n’importe quelle mère.
L’éléphanteau fut baptisé Jumbo, qui signifie « bonjour » en swahili. Disney a adapté ce nom en Dumbo, qui signifie ironiquement « idiot » en anglais. Jumbo a survécu à un voyage dans des conditions déplorables jusqu’à Paris, puis a été échangé contre un rhinocéros avec le zoo de Londres.
Contrairement aux grandes oreilles du film, la particularité de Jumbo résidait dans sa taille immense due à ses gènes africains. Il est devenu l’éléphant le plus célèbre de son époque avant d’être vendu au célèbre P.T. Barnum pour son cirque américain – exactement comme dans le film avec le personnage de V.A. Vandevere interprété par Michael Keaton dans le remake de Tim Burton.
L’histoire vraie est 500 fois plus triste que le conte de fées de Disney, mais elle a permis de créer l’un des films les plus émouvants sur la séparation mère-enfant jamais réalisés.
Découvert dans une boîte de céréales
L’origine de Dumbo est aussi surprenante que l’éléphant volant lui-même ! L’histoire a été écrite par Helen Aberson et illustrée par Harold Pearl en 1939, mais ce qui a attiré l’attention de Disney, c’est sa publication sous une forme très inhabituelle.
Selon les témoignages des animateurs de l’époque, l’histoire aurait été présente sur ou dans un paquet de céréales sous la forme d’un comic strip. C’était en fait un jouet novateur appelé un « Roll-a-Book » – une petite boîte avec 16 dessins et du texte que l’on pouvait dérouler comme un film à travers une petite fenêtre.
Ward Kimball, l’un des animateurs légendaires, raconte que Walt Disney lui a raconté toute l’histoire en seulement 3 minutes sur le parking du studio – alors que les autres projets prenaient généralement au moins 30 minutes à expliquer. Cette simplicité a immédiatement séduit Walt, qui voyait là une opportunité parfaite pour un film économique et touchant.
Imaginez : l’un des plus grands classiques Disney vient d’un jouet trouvé dans des céréales !
Le film qui a sauvé Disney de la faillite

En 1940, Disney était au bord du gouffre financier. Pinocchio et Fantasia, bien qu’artistiquement brillants, avaient été des échecs commerciaux catastrophiques, coûtant chacun 2,4 millions de dollars sans rentrer dans leurs frais. La Seconde Guerre mondiale bloquait les marchés européens, et le studio était criblé de dettes.
Walt Disney devait faire un choix : produire un film rapidement et à moindre coût, ou risquer la banqueroute.
Dumbo a été la bouée de sauvetage parfaite :
- Budget ultra-serré : entre 813 000 et 950 000 dollars (contre 2,4 millions pour les films précédents)
- Production éclair : réalisé en seulement 1 an au lieu de 2 ans en moyenne
- Durée minimale : 64 minutes, le plus court long métrage Disney
Les économies étaient visibles partout : décors peints à l’aquarelle (moins cher que l’huile), personnages aux designs simplifiés, beaucoup de personnages humains sans visage ou en silhouette. Le distributeur RKO était tellement contrarié par la durée qu’il a demandé à Walt de l’allonger à 70 minutes ou de le réduire en court métrage. Walt a refusé.
Le pari était risqué, mais le succès fut phénoménal : Dumbo a rapporté 2,5 millions de dollars lors de sa sortie initiale – plus que Pinocchio et Fantasia réunis ! Il est devenu le film Disney le plus rentable des années 1940 et a littéralement sauvé le studio.
Preuve que moins peut être plus : en revenant à l’essentiel – une histoire simple et émotive – Disney a créé son plus grand succès de la décennie.
Les corbeaux : une controverse raciale qui dure

La scène la plus controversée de Dumbo reste celle des cinq corbeaux qui apprennent à l’éléphanteau à voler. Pendant des décennies, ces personnages ont été accusés d’être une caricature raciste des Afro-Américains.
Les éléments problématiques :
Le nom « Jim Crow » : Dans les documents de production, le corbeau chef était nommé d’après les tristement célèbres lois Jim Crow – les lois de ségrégation raciale en vigueur dans le Sud des États-Unis de 1876 à 1965. Ce nom a été changé en « Dandy Crow » dans les années 1950 pour tenter d’éviter la controverse, mais le mal était fait.
Les voix stéréotypées : Les corbeaux parlent avec des voix et des accents caricaturaux des Afro-Américains du Sud, chantant du blues et se déhanchant. Ils sont vêtus de haillons et adoptent une attitude « impertinente » basée sur les principes du « backchat ».
La référence aux spectacles de ménestrels : Le numéro musical rend hommage aux spectacles de blackface, où des artistes blancs au visage noirci imitaient et ridiculisaient les esclaves africains.
Le paradoxe : Ironiquement, ces corbeaux sont parmi les seuls personnages bienveillants du film. Ils aident Dumbo, deviennent ses amis, et lui donnent la plume magique qui lui permet de croire en lui-même. Leur animateur, Ward Kimball, les a décrits comme des personnages positifs, et la plupart étaient interprétés par des acteurs afro-américains du Hall Johnson Choir (sauf Cliff Edwards qui jouait le chef).
Aujourd’hui : Disney a ajouté des avertissements sur Disney+ précisant que ces stéréotypes « étaient fautifs à l’époque et sont fautifs aujourd’hui ». Dans le remake de Tim Burton (2019), les corbeaux ont complètement disparu pour éviter toute controverse.
Censuré et modifié pour Disney+
Face aux critiques croissantes, Disney a pris des mesures sans précédent pour contextualiser ses classiques controversés.
L’avertissement Disney+ :
Depuis octobre 2020, Dumbo est précédé d’un message qui ne peut pas être passé : « Ce programme comprend des représentations datées et/ou un traitement négatif des personnes ou des cultures. Ces stéréotypes étaient fautifs à l’époque et sont fautifs aujourd’hui. Plutôt que de retirer ce contenu, nous voulons reconnaître son impact néfaste, en tirer la leçon et susciter le dialogue pour créer ensemble un futur plus inclusif. »
Les modifications dans les remakes :
Le remake de 2019 a été l’occasion de « nettoyer » certaines aspérités :
- Les corbeaux ont totalement disparu du Dumbo de Tim Burton
- Les chats siamois de La Belle et le Clochard (2019) ne sont plus siamois
- Le roi Louie dans Le Livre de la Jungle (2016) a vu son numéro musical considérablement abrégé
Le débat : Faut-il censurer ces films ou les préserver comme témoignage historique ? Disney a choisi une troisième voie : conserver mais contextualiser. Certains experts jugent cette approche insuffisante, d’autres applaudissent le refus de réécrire l’histoire.
Comme l’a déclaré Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse : « Il faut remettre en question ces films datés d’une certaine époque et les recontextualiser sans les supprimer, car on perdrait un pan important de notre histoire. »
Les éléphants roses : le trip psychédélique le plus célèbre de Disney

« Pink Elephants on Parade » est devenue l’une des séquences les plus iconiques – et terrifiantes – de l’histoire de Disney.
L’origine de la scène : Après la bouleversante visite à sa mère, Dumbo est désespéré. Pour le réconforter, la souris Timothée lui fait boire un seau d’eau… qui s’avère être rempli de champagne. Les deux personnages se retrouvent complètement ivres.
Ce qui suit est un cauchemar hallucinatoire : des bulles de savon se transforment en éléphants roses qui défilent dans un ballet tour à tour cauchemardesque, lyrique, obsédant et effrayant. Les formes et couleurs s’enchaînent frénétiquement – les éléphants deviennent des serpents, des voitures, des dromadaires, des « choses » impossibles à décrire, pour finalement se transformer en nuages éclairés par le soleil levant, lorsque Dumbo s’éveille dans un arbre.
L’influence surréaliste : Cette séquence a été créée par les jeunes animateurs du studio, ceux qui allaient plus tard fonder UPA (United Productions of America), le studio d’animation le plus influent des années 1950. Salvador Dalí lui-même aurait été fan de cette séquence, qualifiant Walt Disney de « grand surréaliste ».
Dans la culture populaire : Même les gens qui n’ont jamais vu Dumbo connaissent les éléphants roses ! L’expression « voir des éléphants roses » est devenue synonyme d’hallucination alcoolique dans le monde entier.
Le débat : Certains trouvent cette scène inappropriée dans un film pour enfants, montrant les dangers (ou les « plaisirs » ?) de l’alcool. D’autres la voient comme une métaphore onirique de l’inconscient. Dans tous les cas, c’est de l’animation pure à l’état brut.
Baby Mine : le message bouleversant sur la maternité

Si vous avez les larmes aux yeux rien qu’en pensant à cette scène, vous n’êtes pas seul. « Baby Mine » est considérée comme l’une des scènes les plus émouvantes de toute l’histoire du cinéma d’animation.
Le contexte : Madame Jumbo a été emprisonnée, étiquetée comme « éléphant fou » (Mad Elephant), simplement parce qu’elle a défendu son bébé contre des enfants cruels. Dumbo, seul et rejeté de tous, vient lui rendre visite dans sa cage-prison.
La puissance de la scène :
Ils ne peuvent même pas se voir – juste se toucher avec leurs trompes à travers les barreaux. Madame Jumbo berce doucement son bébé pendant que résonne la berceuse la plus déchirante jamais écrite.
Les paroles de Ned Washington évoquent un amour inconditionnel : « Tu es mon trésor, si doux, si charmant, mon tout petit… Ne crains rien, sèche tes pleurs, viens sur mon cœur… Tu auras bien le temps, car certains sont méchants, de connaître les soucis… »
Pendant ce moment volé, on voit les autres familles d’animaux dormir paisiblement dans leurs wagons – un contraste cruel avec la situation de Dumbo et sa mère.
Le message caché sur la maternité :
Cette scène fonctionne sur deux niveaux émotionnels :
Pour les enfants : La peur de l’abandon, le besoin désespéré de sa mère, l’incompréhension face à l’injustice. Pourquoi ne peut-il pas rester avec elle ?
Pour les parents : L’impuissance absolue d’une mère qui voudrait protéger son enfant du monde entier mais qui ne peut même pas le prendre dans ses bras. Son amour est intact, total, mais elle est prisonnière de barreaux injustes.
La double lecture grandit avec nous : Enfant, on pleure pour Dumbo. Adulte, on pleure pour Madame Jumbo. Parent, on pleure pour les deux – et encore plus fort.
L’impact : La chanson a été nominée aux Oscars en 1942 pour la meilleure chanson originale. Elle a été reprise par d’innombrables artistes (Bette Midler, Bonnie Raitt, Alison Krauss). Aujourd’hui encore, elle est utilisée dans des vidéos d’hommage et reste l’une des chansons les plus humaines et touchantes du répertoire Disney.
Un message universel : À travers cette simple berceuse, Disney nous dit que l’amour maternel transcende tout – les barreaux, l’injustice, la séparation. Cet amour ne peut pas être emprisonné.
Dumbo, le héros muet
Dumbo ne prononce pas un seul mot durant tout le film – un choix artistique révolutionnaire pour un personnage principal.
Pourquoi ce silence ?
Dans les films Disney, les personnages expriment généralement leur personnalité par leur voix. Mais Dumbo est un bébé éléphant qui n’a pas encore acquis l’usage de la parole, exactement comme un bébé humain. En anglais, « dumb » signifie d’ailleurs à la fois « bête » et « muet » – un double sens cruellement ironique.
Des personnages muets existaient déjà chez Disney – Simplet dans Blanche-Neige, Gédéon le chat dans Pinocchio, ou Mickey dans L’Apprenti Sorcier de Fantasia. Mais jamais le héros principal n’avait été totalement silencieux.

La puissance du silence :
Sans un mot, Dumbo transmet toutes ses émotions par :
- Son regard – des yeux immenses et expressifs qui reflètent la tristesse, la peur, l’émerveillement
- Ses expressions faciales – chaque mouvement de ses grandes oreilles, chaque battement de paupières
- Son langage corporel – sa maladresse, sa timidité, sa joie quand il vole
Le défi pour les animateurs : Bill Tytla, l’animateur principal de Dumbo, a déclaré avoir eu « la chance de faire un personnage sans théâtralité. » Il s’est inspiré de son propre fils de 2 ans, Peter, pour capturer l’innocence et les mouvements d’un bébé. Quand on lui a demandé pourquoi, il a répondu simplement : « Je ne connais rien aux éléphants. »
Le résultat : Le mutisme de Dumbo le rend encore plus attachant et universel. Sans paroles, il devient un miroir dans lequel chaque spectateur peut projeter ses propres émotions. Pas besoin de traduction, pas de barrière linguistique – Dumbo parle le langage universel de l’émotion pure.
Un pari audacieux qui a fait de Dumbo l’un des personnages Disney les plus mémorables et les plus aimés de tous les temps.
Produit pendant une grève historique

L’histoire de Dumbo est indissociable de l’un des conflits sociaux les plus violents qu’ait connu Hollywood.
Le contexte explosif :
En mai 1941, en plein milieu de la production de Dumbo, une grève de cinq semaines éclate aux studios Disney. Les animateurs, menés par Art Babbitt (l’animateur de Dingo), exigent de pouvoir rejoindre le Screen Cartoonists Guild pour obtenir de meilleures conditions de travail et des salaires plus justes.
Walt Disney s’oppose férocement à la syndicalisation. Il voit cette grève comme une trahison personnelle de ses « artistes-famille ». Quand les animateurs forment des piquets de grève devant les studios, l’atmosphère familiale et la camaraderie qui régnaient depuis des années se brisent définitivement.
Les conséquences :
- Plus de 200 grévistes licenciés après la fin du conflit
- Art Babbitt, malgré son statut d’animateur vedette, est renvoyé (il sera réintégré brièvement après un procès)
- Walt Disney témoignera plus tard devant le Comité McCarthy, accusant certains organisateurs de la grève d’être des espions soviétiques
- Bill Tytla, l’animateur légendaire de Dumbo, quittera le studio en 1943, mal à l’aise dans ce climat de méfiance
La satire cachée :
Une scène de Dumbo semble être une pique directe aux grévistes : les clowns (considérés comme le bas de l’échelle du cirque) se réunissent dans leur tente pour demander une augmentation à leur patron. Bien qu’Art Babbitt ait nié que cette scène faisait référence à la grève (il l’avait animée avant le conflit), l’interprétation persiste.
L’ironie amère :
Dumbo, un film sur l’acceptation de la différence et la lutte contre l’injustice, a été créé pendant que Disney refusait d’accepter les revendications légitimes de ses employés. Cette grève a marqué la fin de l’âge d’or et du « système familial » des studios Disney.
Le film a survécu grâce aux animateurs qui ont traversé les piquets de grève, mais l’innocence du studio était perdue à jamais.
L’animation légendaire de Bill Tytla
Vladimir « Bill » Tytla est une légende méconnue de l’animation, souvent surnommé « Le Michel-Ange de l’animation ». Son travail sur Dumbo est considéré comme l’un des plus grands accomplissements de l’animation américaine traditionnelle.
Qui était Bill Tytla ?
Avant de rejoindre Disney, Tytla avait déjà une solide formation en sculpture et un talent intuitif pour donner vie et émotion à ses créations. Il possédait une qualité tridimensionnelle unique dans son travail et était réputé comme l’un des dessinateurs les plus rapides et les plus doués du métier.
Ses créations légendaires chez Disney :
- Doc et Grincheux dans Blanche-Neige et les Sept Nains (1937)
- Stromboli, le méchant marionnettiste dans Pinocchio (1940)
- Chernabog, le démon monstrueux dans Fantasia (1940)
- Et bien sûr, Dumbo (1941)
Le génie de son animation de Dumbo :
Pour la célèbre scène du bain, Tytla s’est inspiré de son propre fils de 2 ans, Peter. Il a observé les mouvements innocents, maladroits et attendrissants d’un tout-petit pour capturer l’essence de Dumbo. Sa réponse légendaire quand on lui a demandé pourquoi : « Je ne connais rien aux éléphants ! »
La scène la plus poignante – la visite de Dumbo à sa mère emprisonnée – a été animée par Tytla « avec une émotion énorme et une sensibilité exacerbée. » Selon Ollie Johnston et Frank Thomas (deux des Nine Old Men de Disney) : « Il y a tant d’amour dans chaque mouvement, les sentiments de l’artiste sont si authentiques que personne ne rit, personne ne s’interroge. »
Sa force : Tytla avait un don pour insuffler de l’émotion pure dans ses personnages. Comme il l’a dit lui-même : « La clé, c’est le sentiment et la vitalité que vous insufflez dans le travail. »
La fin tragique :
Après la grève de 1941, Tytla s’est senti mal à l’aise dans l’atmosphère de méfiance qui régnait au studio. Il a quitté Disney en 1943 et est retourné chez Terrytoons, où il a été de plus en plus insatisfait des nouvelles méthodes d’animation. Ses dernières années ont été marquées par des problèmes de santé, incluant la cécité d’un œil. Il est mort en 1968 dans sa ferme laitière du Connecticut.
L’héritage : Aujourd’hui encore, son animation de Dumbo est étudiée dans toutes les écoles d’animation du monde. Il a prouvé qu’avec du talent, de l’observation et de l’émotion sincère, on peut créer des personnages qui traversent les générations.
Bill Tytla a transformé un éléphanteau de dessin animé en icône universelle de l’innocence et de l’émotion pure.
Mr. Stork : le dernier vol d’Art Babbitt

Si l’histoire de Bill Tytla est touchante, celle de Monsieur Cigogne est carrément tragique. Ce personnage maladroit et attachant qui livre Dumbo en retard cache une ironie cruelle : il a été animé par l’un des plus grands artistes Disney… juste avant que sa carrière au studio ne s’écroule.
Art Babbitt : une légende de l’animation
Arthur Harold « Art » Babbitt n’était pas n’importe quel animateur. C’était le créateur de Dingo, celui qui avait défini sa personnalité et son style de mouvement. Il avait aussi animé la Reine dans Blanche-Neige, Geppetto dans Pinocchio, et les champignons dansants de Fantasia. Bref, une légende absolue.
L’animation de Mr. Stork
Pour Dumbo, Babbitt s’est vu confier l’animation de Monsieur Cigogne, ce personnage qui arrive en retard, perd son paquet plusieurs fois, se trompe de wagon, et oblige finalement Madame Jumbo à signer l’acte de livraison malgré toutes ses erreurs.
Le coup de génie : Babbitt a basé l’apparence physique de la cigogne sur son acteur vocal, Sterling Holloway – qui deviendrait plus tard la voix iconique de Winnie l’Ourrou, du Chat du Cheshire, et de tant d’autres. C’était d’ailleurs le tout premier rôle Disney de Holloway !
Pour les mouvements, Babbitt s’est inspiré de son ex-femme Marge Champion, qui avait déjà servi de modèle vivant pour Blanche-Neige, la Fée Bleue et Hyacinth l’hippopotame.
Une satire de la bureaucratie : Le personnage est une caricature du « bureaucrate incompétent » – celui qui accumule les erreurs mais vous fait quand même signer les papiers !
Le drame en coulisses
Mais pendant qu’il animait cette cigogne joyeuse, Babbitt traversait l’enfer. Il était devenu l’un des leaders de la grève des animateurs de mai 1941, réclamant de meilleures conditions de travail pour les employés les moins bien payés du studio.
Les retards de production : Selon les témoignages, il y avait un retard de 6 semaines sur l’animation de Mr. Stork. Pourquoi ? Parce que Babbitt passait ses journées à recruter pour le syndicat pendant les heures de travail, allant de bureau en bureau pour convaincre ses collègues de rejoindre le Screen Cartoonists Guild.
La confrontation : En mars 1941, son superviseur Hal Adelquist (qui était pourtant un ami – il avait parlé au mariage de Babbitt !) l’a confronté sur ces retards. Babbitt a admis ses activités syndicales mais a insisté que cela n’affectait pas la qualité de son travail.
Walt Disney, lui, n’a pas pardonné.
Le blocage créatif : Selon Babbitt lui-même, il traversait un « animator’s block » à cette époque. Il manquait de confiance, devenait trop dépendant des références en prises de vues réelles, et son animation perdait en caricature. Certains animateurs ont d’ailleurs remarqué que son travail sur Mr. Stork était plus rigide et moins fluide que d’habitude.
Le licenciement : Le 26 mai 1941, en pleine production de Dumbo, Art Babbitt a été viré par Walt Disney pour son rôle dans la grève. C’était l’un des animateurs les mieux payés du studio, mais il avait choisi de se battre pour les droits de ses collègues moins fortunés.
Une matinée, Walt Disney traversait les piquets de grève en voiture. Babbitt l’a interpellé au mégaphone. Disney est sorti de sa voiture pour l’affronter. Une bagarre physique a été évitée de justesse par l’intervention d’autres personnes.
Les conséquences :
Babbitt a porté plainte et a été réintégré temporairement après un long procès qui est allé jusqu’à la Cour Suprême des États-Unis – qu’il a gagné avec un généreux dédommagement. Mais l’atmosphère était devenue toxique. Walt cherchait activement des moyens de se débarrasser de lui.
Après avoir servi dans les Marines pendant la Seconde Guerre mondiale, Babbitt est brièvement revenu chez Disney, mais est rapidement reparti en 1947. Il a rejoint UPA (United Productions of America) avec d’autres anciens grévistes de Disney, le studio qui allait révolutionner l’animation dans les années 1950.
Plus tard, Walt Disney a même témoigné devant le Comité McCarthy, accusant certains organisateurs de la grève (dont Babbitt) d’être des agents communistes ou des espions soviétiques.
L’ironie cruelle
Pensez-y un instant : Monsieur Cigogne arrive en retard pour livrer Dumbo parce qu’il est débordé et désorganisé. Art Babbitt livrait son animation en retard parce qu’il se battait pour les droits des travailleurs exploités.
La cigogne est maladroite mais bienveillante – elle fait finalement son travail et amène le bonheur à Madame Jumbo. Babbitt était sincère et courageux – il a sacrifié sa carrière pour défendre ses collègues.
Et ce personnage joyeux qui ouvre le film avec tant d’optimisme a marqué la fin tragique de la carrière Disney de l’un des plus grands animateurs de tous les temps.
Le destin d’Art Babbitt :
Babbitt a continué d’animer jusqu’à la fin de sa vie, travaillant pour UPA, Warner Bros., et d’autres studios. Mais il n’a jamais retrouvé la gloire de ses années Disney. Il est décédé le 4 mars 1992 à l’âge de 84 ans.
En reconnaissance de ses contributions monumentales à l’animation, il a reçu à titre posthume un Disney Legends Award – un hommage amer de la compagnie qui l’avait chassé cinquante ans plus tôt.
Le symbole parfait :
Mr. Stork représente tout ce qui n’allait pas dans la production de Dumbo : les retards, les tensions, les sacrifices, la fin d’une époque. Mais comme le film lui-même, ce personnage maladroit et imparfait est devenu attachant et mémorable.
Art Babbitt a payé le prix fort pour ses convictions. Mais sans lui et les autres grévistes, les conditions de travail dans l’animation seraient restées déplorables pendant des décennies.
La cigogne arrive toujours en retard… mais elle finit par livrer le bébé.
BONUS : Encore plus de secrets !
Le magazine TIME et Pearl Harbor
Le magazine TIME avait prévu de faire de Dumbo son « Mammifère de l’année » avec une couverture prévue pour le 29 décembre 1941 – une parodie de leur célèbre « Homme de l’année ». Mais l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre a tout changé. Dumbo a été remplacé par le Général Douglas MacArthur, et le rêve d’une couverture iconique s’est envolé.
Les techniques d’animation économiques
Pour réduire les coûts, Disney a utilisé plusieurs astuces ingénieuses :
- Personnages sans visage : les ouvriers, musiciens et employés du cirque n’ont pas de traits faciaux
- Silhouettes : les clowns et constructeurs de chapiteau apparaissent principalement en ombres
- Aquarelle : avec Blanche-Neige, Dumbo est le seul classique Disney à utiliser cette technique peu coûteuse pour les décors (les autres films utilisaient de la peinture à l’huile ou de la gouache)
- Format réduit : 12 field (24,5×30 cm) au lieu de 16 field (30×39,5 cm)
Casey Junior, la locomotive à personnalité
Casey Jr. est l’une des rares machines Disney à avoir une personnalité et une voix. Son animator, Ward Kimball, avait même créé une ébauche d’un mécanicien avec ses propres traits, mais l’idée a été abandonnée – le train devait pouvoir se conduire tout seul !
Fait amusant : la voix de Casey Jr. disant « All aboard! » vient du film documentaire Le Dragon récalcitrant sorti quelques mois avant Dumbo.
Le cirque WDP
Le nom du cirque dans le film est « WDP Circus » – les initiales de Walt Disney Productions ! Un petit clin d’œil auto-référentiel caché en pleine vue.
La référence à Clark Gable
Quand Timothée essaie de consoler Dumbo en lui disant que beaucoup de gens célèbres ont de grandes oreilles, ce serait une référence directe à l’acteur Clark Gable, la plus grande star de l’époque.
Le rire de Mickey
Après être tombé dans le seau de champagne, Timothée la souris a exactement le même rire que Mickey Mouse dans l’un de ses courts métrages – un petit easter egg sonore !
Salvador Dalí était fan !
Le maître du surréalisme Salvador Dalí aurait été fan de la séquence des éléphants roses, qualifiant Walt Disney de « grand surréaliste ». L’admiration était mutuelle – Disney et Dalí ont même collaboré sur le court métrage expérimental Destino (commencé en 1945, achevé en 2003).
Un échec transformé en succès
Le distributeur RKO détestait la durée de 64 minutes du film et a demandé à Walt de l’allonger à 70 minutes ou d’en faire un court métrage de 30 minutes. Walt a refusé catégoriquement les deux options. RKO a fini par céder… et le film est devenu le plus gros succès Disney des années 40 !
L’attraction la plus populaire
Dumbo the Flying Elephant est l’une des attractions présentes dans TOUS les parcs Disney à travers le monde : Disneyland, Disney World, Disneyland Paris, Tokyo Disneyland, Hong Kong Disneyland… C’est un manège de type « spinner » classique, mais il reste l’un des plus populaires grâce à la magie du personnage.
Une espèce de pieuvre nommée Dumbo
Il existe une espèce de pieuvre (Grimpoteuthis) surnommée « Dumbo octopus » à cause de ses nageoires qui ressemblent à des oreilles d’éléphant ! La science rend hommage à Disney.
Préservé comme trésor national
En 2017, Dumbo a été sélectionné par la Bibliothèque du Congrès pour être préservé au Registre national du film des États-Unis, reconnu pour sa « signification culturelle, historique et esthétique ». C’est l’équivalent d’entrer au panthéon du cinéma américain.
Le film préféré de Walt
Malgré le prestige de Blanche-Neige, la splendeur de Pinocchio ou l’innovation de Fantasia, Walt Disney lui-même considérait Dumbo comme l’un de ses films préférés. Pourquoi ? Pour sa simplicité émotionnelle pure – preuve que moins peut être infiniment plus.
Un succès qui dure
Sorti en 1941, Dumbo a connu des ressorties triomphales en 1949, 1959, 1972 et 1976. Depuis sa première sortie VHS dans les années 80, il n’a jamais cessé d’être disponible – un record pour un classique Disney. Des générations entières ont grandi avec Dumbo, et des générations futures continueront de pleurer devant Baby Mine.
Pour terminer … en larme

Dumbo n’est pas qu’un simple film d’animation. C’est un miracle de simplicité émotionnelle, né dans la tourmente économique et sociale, porté par des artistes légendaires qui ont parfois payé le prix fort pour leurs convictions, et porteur d’un message universel sur l’amour maternel, l’acceptation de soi et le courage de voler malgré ce qui nous rend différents.
Derrière ses 64 minutes se cachent des tragédies réelles (l’éléphant Jumbo, Art Babbitt licencié), des controverses douloureuses (les corbeaux, la censure), des prouesses techniques (Bill Tytla, l’animation à l’aquarelle), et surtout, une émotion pure et sincère qui continue de faire pleurer petits et grands, 84 ans après sa sortie.
Comme le disait Bill Tytla : « La clé, c’est le sentiment et la vitalité que vous insufflez dans le travail. »
Dumbo a capturé quelque chose d’ineffable – et il continuera de toucher les cœurs tant qu’il y aura des enfants qui ont besoin de leur maman, et des mamans qui feraient n’importe quoi pour protéger leurs petits.
Parce que l’amour maternel ne peut pas être emprisonné derrière des barreaux. Il vole aussi haut que Dumbo lui-même. 💙🐘
Article rédigé avec passion et quelques larmes en pensant à Baby Mine… et si tu as envie de chialer aussi je te laisse l’extrait de la scène.
Pour rester en theme Disney, on vous propose la lecture de :
L’évolution des dessins animés classiques Disney et modernes : de Blanche-Neige à Encanto
Dory et la neurodiversité chez les enfants : ce que l’animation Pixar apprend aux parents
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